Cet article a d’abord été publié sur le site français Le Salon beige. Nous le publions avec l’aimable autorisation de l’éditeur (nde).
Plusieurs amis, sachant que je m’intéresse de près à la politique américaine (je crois bien être un des rares chroniqueurs français à avoir assisté à un meeting de Trump, avant même qu’il ne soit désigné comme le candidat du parti républicain en 2016…), m’ont demandé ce que je pensais de l’élection présidentielle américaine. Je voudrais tenter de leur répondre par cet article à la veille de ce vote important.
Je ne suis pas un expert électoral et ma première réponse serait d’inviter les commentateurs à l’humilité. Ne serait-ce que parce que la plupart des commentateurs français de cette folle campagne ne connaissent que New York ou San Francisco, qui sont loin de représenter tous les Etats-Unis. Il est, de façon générale, assez délicat de « sentir » les passions politiques d’un peuple. Et les sondages, qui peuvent aider à comprendre les tendances et les évolutions, ne nous renseignent pas précisément sur l’état d’esprit ni surtout sur les motivations d’une personne ou, a fortiori, d’un peuple : les questions déterminent le type de réponse et il est bien connu que les instituts de sondage faussent partiellement – parfois involontairement, parfois pour complaire à leurs clients – leurs propres résultats. Ainsi, de toute évidence, le vote Trump est sous-estimé par les sondeurs, pour la simple raison que la plupart des électeurs ont intégré l’idée que, selon la nomenklatura, voter Trump est « plouc », tandis que voter Biden est « chic ». C’est ce qu’on appelle là-bas l’effet Bradley.
Il faut ajouter qu’il n’y a pas une seule élection : la présidentielle américaine se fait au suffrage indirect par Etat et non au suffrage direct sur l’ensemble de la nation. Il est donc parfaitement possible de l’emporter en ayant moins de voix que son adversaire. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé à Donald Trump en 2016 : il a perdu le vote populaire, mais gagné la présidentielle. Or, les règles électorales diffèrent d’un Etat à l’autre et il est donc très difficile d’extrapoler d’un sondage réalisé à l’échelle du pays le nombre de grands électeurs qu’obtiendront chacun des deux candidats.
Précisons encore que la fraude pourrait bien être massive : il y a eu de nombreux votes par correspondance et les démocrates ont la réputation (qu’ils ne contestent pas et dont ils se vantent, au contraire, volontiers) d’être bien meilleurs que les républicains pour aller chercher les votes par correspondance. Or, aux Etats-Unis, on sait assez précisément qui vote quoi. Il peut donc être tentant pour une organisation aux sympathies démocrates d’aller voir toutes les personnes âgées du voisinage en leur proposant de poster leur vote – et de mettre à la poubelle les courriers des sympathisants républicains.
Bref, l’élection de demain est probablement encore plus indécise que la précédente.
Mais il n’est pas sans intérêt de noter que, malgré la puissance du président américain, l’élection présidentielle n’a pas, aux Etats-Unis, l’importance unique de notre propre élection présidentielle. Certes – et je vais naturellement y venir –, il n’est pas du tout indifférent que Trump ou Biden l’emporte, pour les Etats-Unis d’abord, mais aussi pour tout le monde occidental et même pour la planète entière. Mais leur élection ne sera pas le seul résultat ni le seul enseignement du 3 novembre. La majorité au sénat et à la chambre ne sont pas moins importantes – et peuvent être largement « décorrélées » de la présidentielle (en 2016, Trump avait gagné dans des Etats qui n’avaient élu, le même jour, que des parlementaires démocrates et c’est loin d’être un cas unique). La récente nomination d’Amy Coney Barrett à la Cour suprême est, elle aussi, d’une importance cruciale – en particulier parce que cette dernière devrait pouvoir rester en poste pendant des décennies. Et je ne parle pas ici des innombrables référendums sur lesquels les Américains vont devoir se prononcer demain. Il n’est pas rare qu’un électeur ait, outre le président, à élire plusieurs parlementaires et à se prononcer sur une dizaine de sujets aussi variés que l’éclairage public ou la restriction de l’avortement.
Ce qui veut dire que, même si Biden l’emporte, ce ne sera pas nécessairement une défaite écrasante pour les républicains ni, moins encore – et cela m’importe plus – pour les conservateurs (qui sont électoralement liés au parti républicain, mais ont une existence politique largement autonome). L’inverse est également vrai.
La principale nouveauté de cette campagne, selon ce que je peux en percevoir en lisant la presse américaine (mais sans avoir été, cette année, aux Etats-Unis comme je le fais habituellement quelques semaines par an), c’est que le pays est plus fracturé que jamais. Les Etats-Unis n’ont jamais été une nation au sens français de ce mot : ils seraient bien davantage un empire composé de myriades de nations plus ou moins étrangères les unes aux autres, et unies par une sorte de religion civique qui n’est pas sans rappeler celle de l’ancien empire romain. Mais il est frappant que les émeutes raciales, les attaques partisanes et les crises politiques à répétition des derniers mois ont conduit les différentes communautés à s’éloigner les unes des autres, au point parfois de ne même plus pouvoir trouver de point commun. Non seulement leur vie n’est plus la même (c’était déjà le cas avant : un immigré italien de première génération vivait très différemment d’un Anglais dont la famille était implantée avant l’indépendance des treize colonies), non seulement les médias qu’ils consultent ne sont plus les mêmes, mais leur langue n’est plus la même, leur imaginaire n’est plus le même, le pays qu’ils aiment n’est plus le même. Trump et Biden portent une part de responsabilité dans cet état de fait, mais ils n’y peuvent rien et le vainqueur ne règnera même pas sur une Amérique divisée : la moitié du pays le considérera comme illégitime et le méprisera.
Cela ne pourra pas manquer d’avoir des conséquences sur l’avenir du pays – et de l’Occident en général. Cela ne veut certes pas dire que les Etats-Unis vont cesser d’être une grande puissance – ni même la première puissance du monde. Mais ils vont clairement être fragilisés par leurs propres divisions – qui, à mon sens, sont profondes et durables.
Au plan idéologique, comme en 2016, il y a un véritable enjeu à cette élection. Cela n’a pas toujours été le cas. Pendant des décennies, démocrates et républicains ont partagé une grande partie de leurs convictions. Les démocrates étaient beaucoup moins collectivistes que leurs collègues des partis sociaux-démocrates européens et les républicains s’interdisaient de parler de sujets comme l’immigration. L’arrivée de Donald Trump et de Bernie Sanders a profondément bouleversé la donne. Au passage, c’est aussi l’un des aspects de l’effet Bradley dont je parlais plus haut : comme personne au parti républicain (à l’exception notable de Pat Buchanan) ne parlait d’immigration, ni des traités commerciaux multilatéraux, tout le monde en déduisait que l’immigration et la désindustrialisation n’étaient pas des sujets politiques aux Etats-Unis. Dès que Trump mit ces sujets sur la table, il devint évident que c’étaient des sujets majeurs et cette prise de conscience est irréversible : la plateforme politique du parti républicain a durablement changé, que Trump l’emporte demain ou non.
Si ces quelques lignes ont pu contribuer à nuancer un peu les propos à l’emporte-pièce de tant de commentateurs français, ils n’auront pas été vains.
Mais je voudrais saisir l’occasion pour aggraver mon cas et expliquer pourquoi je souhaite la victoire de Donald Trump. Je n’ignore pas que cette position apparaît loufoque ou odieuse dans le paysage politico-médiatique français – mais j’ai une petite habitude de ne pas être exactement sur les mêmes positions que mes éminents confrères de la « presse dominante ». Par ailleurs, les intérêts des Etats-Unis et ceux de la France ne coïncident pas et, autant j’apprécierais mal que des Américains me donnent des leçons de patriotisme français, autant je ne me permettrais certainement de donner de leçons à ceux de mes amis américains qui liront cet article. Je voudrais simplement expliquer pourquoi, du point d’un catholique et d’un homme de droite français, la victoire de Trump serait une bonne nouvelle.
Disant cela, je n’idéalise pas le personnage. Je continue à rester interloqué de le voir pratiquer la diplomatie du tweet, tantôt cajolant, tantôt insultant ses adversaires, toujours les affublant de surnoms farfelus. Je n’oublie pas non plus que beaucoup de mes amis conservateurs américains avaient été d’abord très réservés, sinon hostiles, contre cet étrange candidat. Mais je n’ai jamais compris comment les journalistes français parvenaient à le grimer en parfait abruti : un homme qui a mené trois carrières différentes au plus haut niveau, comme milliardaire du bâtiment d’abord, puis producteur de télévision, et enfin président des Etats-Unis d’Amérique, ne doit tout de même pas être totalement dépourvu de talent et de charisme ! En toute hypothèse, ce n’est pas tant la personne de Trump ou de Biden qui m’importe, comme Français, que ce que leur élection entraînera au plan politique.
La première raison qui me fait considérer la victoire de Trump comme une bonne chose tient aux sujets que l’on appelle là-bas « social conservatism », c’est-à-dire la défense de la vie humaine, de la famille, du mariage, etc. Donald Trump n’était certes pas des nôtres sur ces questions. Mais il a fait un « deal » avec les conservateurs et il a merveilleusement tenu sa parole. Jamais sous un mandat républicain, la cause de la défense de la vie n’avait davantage progressé. Non pas seulement aux Etats-Unis, mais dans le monde. Il est notamment désormais interdit d’utiliser de l’argent fédéral pour financer l’avortement en Afrique ou en Amérique du Sud. Cela n’empêche pas le très puissant lobby pro-mort du Planning familial de déverser des millions de dollars partout sur la planète, mais désormais sans l’aide de l’Etat fédéral américain. Surtout, Donald Trump a nommé un nombre inouï de juges fédéraux conservateurs et c’est décisif pour l’avenir. Il n’a pas seulement nommé 3 nouveaux juges à la Cour suprême, assurant une majorité conservatrice dans cette instance si importante de l’appareil constitutionnel américain, mais plus de 200 juges fédéraux. Pour nous, pro-vie français, c’est un fantastique signe d’espoir : il est possible de reconquérir le terrain perdu et de faire avancer concrètement et durablement la culture de vie. Inutile de dire que l’arrivée de Joe Biden, tout catholique que soit ce dernier, changerait tout, tant il est soumis au lobby de la culture de mort.
La deuxième raison tient à la politique étrangère. La dénonciation des accords « globalistes » par Trump me semble aller dans le sens d’une restauration de relations diplomatiques saines. Il est en effet délirant que des technocrates sans aucune légitimité politique s’arrogent le droit de bouleverser la vie de milliards d’êtres humains au nom de leurs lubies du moment – de la dérégulation financière à la lutte contre le réchauffement climatique en passant par l’imposition de la démocratie à coups de bombes. J’ai également beaucoup apprécié le combat de Donald Trump contre les néo-conservateurs au sein de son propre parti républicain et je crains, par ricochet, que sa défaite n’entraîne le retour des travers du messianisme holliwoodien qui croit pouvoir « pacifier » des peuples en les aplatissant sous des tapis de bombes !
Enfin, un troisième élément dans le bilan de Trump me donne envie de le voir à nouveau gagner : son combat pour les frontières et contre l’invasion migratoire. Certes, l’histoire démographique américaine n’a rien à avoir avec la nôtre (contrairement à la doxa médiatique, le peuple français est resté extraordinairement stable des Gaulois au XXe siècle), certes l’immigration aux Etats-Unis est majoritairement une immigration catholique et une immigration de travail (donc bien plus facilement assimilable que l’immigration musulmane de peuplement et d’assistanat qui constitue une large partie des quelque 500 000 personnes qui arrivent chaque année en France). Mais il me semble d’autant plus intéressant qu’un haut responsable politique américain mette en cause le dogme de l’interchangeabilité des êtres humains et de la nocivité des frontières. Les frontières sont nécessaires à notre identité – et sont donc la condition de notre dialogue avec d’autres civilisations.
A ce sujet, les drames récemment survenus en France sonnent comme un avertissement ailleurs en Occident, et aux Etats-Unis en particulier : nous avons globalement, comme sphère civilisationnelle occidentale, structurée par le christianisme, un problème avec l’islam et l’immigration musulmane se trouve nécessairement d’une autre nature que d’autres immigrations qui soit sont également marquées par le christianisme (comme l’immigration sud-américaine aux Etats-Unis ou l’immigration polonaise chez nous), soit sont restées étrangères à l’Occident pendant des siècles (comme l’immigration asiatique). L’islam, au contraire, s’est doctrinalement défini contre le christianisme (la profession de foi coranique commence d’ailleurs par « la », non en arabe : non il n’y a pas d’autre Dieu que Dieu, ce qui est une contestation explicite du dogme de la Sainte Trinité) et, depuis la fondation de l’islam, nous avons pratiquement toujours été en guerre. On ne peut rayer cela d’un trait de plume.
Plusieurs amis conservateurs américains m’ont dit se réjouir du récent discours de fermeté contre l’islamisme d’Emmanuel Macron. Mais ce n’est manifestement qu’un discours – alors que Donald Trump est un homme d’action. Et, surtout, c’est un discours qui évite soigneusement les questions qui fâchent (et notamment la responsabilité de l’islam comme tel dans les assassinats odieux qui ont ensanglanté la France au cours des dernières semaines) et l’on peut reprocher bien des choses à Donald Trump mais certainement pas d’éviter les sujets qui fâchent !
Un dernier mot : le meilleur argument électoral de Donald Trump, plus encore que son bilan objectivement bon, ce sont ses adversaires. Non pas seulement Joe Biden, mais sa vice-présidente pressentie, Kamala Harris, incarnation du « gouvernement des juges » qui défit naguère, sans aucune légitimité politique, les résultats du référendum californien sur le mariage pour complaire aux idéologues libertaires, sans parler de tout l’appareil d’un parti démocrate profondément radicalisé et devenu violemment hostile à l’idée même de civilisation occidentale, soutien actif des émeutes raciales et partisan du « Great reset », cette transformation mondialisto-socialiste dont rêvent les suppôts de l’oligarchie financière qui, sous couvert de lutte contre le terrorisme, contre la pandémie ou contre le réchauffement climatique, supprimerait volontiers toutes les libertés des peuples et des personnes.
Donc, oui, sans hésitation, et quoi qu’en puissent penser la caste jacassante française, je suis de ceux qui se réjouiraient demain si Donald Trump l’emportait !
Discussion à ce sujet post