Chaque année, lors de la veillée pascale, selon une coutume qui remonte aux tout premiers temps du christianisme, une série de prophéties de l’Ancien Testament est lue avant la bénédiction des eaux et le baptême des catéchumènes qui se sont préparés tout au long du Carême à recevoir le sacrement. Traditionnellement, la première de ces prophéties est le début du livre de la Genèse (note), qui raconte la création du monde, comme l’atteste la toute première homélie prêchée à l’occasion de la fête de Pâques, l’homélie pascale de saint Melito de Sardes, datant d’environ 160 après Jésus-Christ.
La première raison, la plus évidente, est de parler du commencement de l’ancienne création la nuit où l’Église célèbre sa transformation en une nouvelle création dans la Résurrection du Christ, comme l’exprime la prière qui suit la lecture. ” O Dieu, qui avez merveilleusement créé l’homme, et plus merveilleusement encore l’avez racheté ; accordez-nous, nous le demandons, de persister dans la raison contre les plaisirs du péché, afin de mériter de parvenir aux joies éternelles. ” L’enseignement de l’Église, tel qu’il est exprimé par sa loi sur la prière, est que l’homme est capable d’utiliser sa raison, renouvelée par la grâce de Dieu, pour résister aux délices du péché ; il n’est pas contraint de céder à ses propres impulsions pécheresses et égoïstes, et encore moins de se laisser définir par elles.
Le début de la lecture parle de “l’Esprit de Dieu (qui) se mouvait sur les eaux”, ce qui a été compris comme une référence aux eaux du baptême. La prière traditionnelle par laquelle ils sont bénis dans les fonts baptismaux renvoie à cette lecture lorsqu’elle dit : “O Dieu, dont l’Esprit a agi sur les eaux au tout début du monde, afin que la nature des eaux reçoive dès lors la puissance de la sanctification.”
Mais ce passage est également choisi comme une réponse à l’un des problèmes les plus graves auxquels l’Église primitive a été confrontée, un problème qui est réapparu sous différentes formes à diverses époques de son histoire, à savoir l’hérésie appelée gnosticisme.
Il existait de nombreuses écoles d’idées gnostiques, qui exprimaient leur pensée de bien des manières différentes, mais en gros, elles enseignaient toutes que la création matérielle est en fait l’œuvre non pas de Dieu, et encore moins d’un Dieu bienveillant et aimant, mais d’une puissance maléfique quelconque, qui a fait en sorte d’emprisonner “l’esprit” dans la matière. (Les gnostiques se qualifiaient souvent de personnes “spirituelles”, et les non-gnostiques de personnes “matérielles”). Le mot “gnose” dont dérive “gnostique” signifie “connaissance”, et pour eux, la vraie connaissance signifiait la réalisation que le monde matériel est un piège et une tromperie, sans signification pour le “spirituel”, qui pourrait trouver dans leur religion le moyen d’en être délivré.
En conséquence, de nombreuses sectes gnostiques considéraient la procréation elle-même comme quelque chose d’intrinsèquement mauvais, car elle perpétuait l’enfermement de l’esprit dans la matière. Cette idée les a souvent conduits à l’un des deux extrêmes concernant la sexualité humaine : soit la rejeter entièrement, parce qu’elle perpétue l’enfermement de l’esprit dans la matière ; soit déclarer que, puisque la matière n’est pas pertinente, ce que l’on fait dans, sur ou avec la matière du corps n’a pas d’importance, et que l’on est donc libre de s’adonner à n’importe quel type de liberté sexuelle.
À cela, l’Église oppose l’enseignement de la Genèse, qui affirme qu’à la fin de chaque jour de la création, ” Dieu vit que cela était bon. ” En outre, lorsque Dieu crée les animaux, il les bénit en disant “augmentez et multipliez vous”, ce qui revient à dire que l’augmentation et la multiplication sont une bénédiction, et non, comme le diraient les gnostiques, une malédiction. Cette même bénédiction est ensuite communiquée à l’homme, dès les premières paroles que Dieu lui adresse (verset 28) : c’est une bénédiction, et non une malédiction, pour l’homme d’augmenter et de multiplier grâce à sa sexualité. C’est une chose qu’il partage avec les animaux, mais dont il ne fait pas usage comme les animaux ; il a plutôt la capacité de se gouverner avec raison “contre les délices du péché”.
Enfin, il faut noter que la place de l’homme dans la création, en tant que chef et maître de celle-ci, est aussi une bénédiction ; il n’est pas un parasite du monde, ni un étranger à celui-ci. À la fin des cinq premiers jours de la création, Dieu voit que c’est bon, mais à la fin du sixième, lorsqu’il a ordonné à l’homme de “remplir la terre, de la soumettre et de dominer sur… tous les êtres vivants qui se meuvent sur (elle)”, il voit que c’est “très bon”.
Dans les missels romain et ambrosien, Genèse 1, 1 – 2, 2 ; dans l’ancienne liturgie espagnole connue sous le nom de rite mozarabe, la lecture se termine au verset 2, 6, et est suivie d’une autre qui se poursuit jusqu’à la fin du chapitre 3. Dans la liturgie byzantine, la lecture se termine au verset 1, 13, la fin du troisième jour de la création].
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