Comme beaucoup de pays, la France a subi l’expérience d’un “confinement” strict pour faire face à la crise du COVID-19. Cette période a duré du 16 mars au 11 mai. Durant cette période, tous les cultes publics étaient interdits. Sur des bases d’ailleurs étranges: le décret encadrant le confinement était, en effet, un peu contradictoire, puisqu’il indiquait que tous les rassemblements de plus de 100 personnes étaient interdits, mais que, dans les lieux de culte, tous les rassemblements étaient par principe interdits (quel que soit le nombre de personnes), à l’exception des obsèques où l’on ne pouvait accueillir plus de 20 personnes. Plusieurs juristes ont affirmé qu’il aurait donc été possible de célébrer des messes publiques, au moins jusqu’à 20 personnes et peut-être même jusqu’à 100 personnes. C’est aussi ce que je crois. Mais ce qui est sûr, c’est que les évêques français n’ont pas tenté de maintenir le culte public durant cette période. Au contraire, ils ont parfois fermé les églises avant même que l’Etat le demande. De toute évidence, la première motivation de ce comportement était le souci pour la santé des fidèles et de toute la population, mais il est probable aussi que la plupart des responsables religieux aient été particulièrement inquiets des possibles retombées médiatiques d’un maintien du culte. En effet, au début de l’épidémie, la presse avait sévèrement critiqué un rassemblement évangélique à Mulhouse, supposé avoir aidé à la diffusion de l’épidémie. Evidemment, il n’y a pas grand-chose de commun entre un rassemblement évangélique, une messe catholique, un prêche à la mosquée ou une cérémonie à la synagogue, mais ne comptons pas trop sur la culture religieuse des médias pour ce genre de “subtilités”! Ajoutons que les accusations contre le rassemblement évangélique étaient calomnieuses – en particulier parce que ce rassemblement a, pour autant que l’on sache, parfaitement respecté les règles sanitaires alors en vigueur.
A partir du 11 mai a commencé une nouvelle étape de déconfinement progressif (une nouvelle étape est attendue le 2 juin). A compter de cette date, les écoles et les entreprises devaient rouvrir progressivement (selon des règles pas toujours très claires d’ailleurs). Mais le Premier ministre, malgré la claire demande des évêques qui lui proposaient même un plan précis et complet de déconfinement assurant la plus grande sécurité sanitaire, refusait d’ouvrir les églises au culte public. Le ministère de l’Intérieur, en charge de la question des cultes, expliqua même “savamment” que “la prière [n’avait] pas forcément besoin de lieu de rassemblement” – ignorant manifestement tout de la foi des catholiques et de la différence entre une simple prière et une messe. Le ton monta. Plusieurs évêques firent part de leur incompréhension. Rien n’y faisait, le gouvernement refusait de voir qu’une messe n’est pas plus dangereuse qu’une visite de musée (les musées étant rouverts) ou des courses au supermarché – et sans doute beaucoup moins qu’une classe de maternelle.
11 associations saisirent le Conseil d’Etat (la plus haute juridiction administrative française) pour faire reconnaître la liberté religieuse des croyants, et notamment des catholiques (qui étaient les plus actifs sur ce dossier). Parmi ces associations, permettez-moi de citer l’AGRIF, association active en particulier dans la défense des chrétiens, présidée par mon ami Bernard Antony et dont j’ai l’honneur d’être vice-président – comme tel, j’étais donc l’un des plaignants dans ce dossier. Un certain nombre de ces associations seront déboutées – les décrets gouvernementaux changeant à toute allure et rendant certaines saisines judiciaires sans objet. Cependant, le 18 mai, le Conseil d’Etat donna raison aux fidèles qui réclamaient que la liberté de culte soit reconnue comme la liberté fondamentale qu’elle est dans la loi naturelle et dans le droit français. Le gouvernement avait 8 jours pour adapter son décret de déconfinement. Ce qu’il fit: depuis dimanche dernier, les mesures de protection sanitaires étant sauves, les messes publiques ont repris.
Plusieurs leçons peuvent être retenues de ces péripéties. La première est évidemment qu’il faut toujours se battre pour faire reconnaître nos libertés fondamentales. Les seules batailles que nous sommes sûrs de perdre sont celles que nous ne livrons pas! Il est également intéressant de constater qu’à l’exception d’une saisine (menée par des clercs de divers instituts attachés à la messe traditionnelle), toutes furent le fait de laïcs. Beaucoup s’en sont émus. D’abord pour dire que ces laïcs n’étaient pas “représentatifs” – beaucoup d’entre eux étant notoirement “de droite” et “conservateurs”, parfois même “réactionnaires”. Ensuite pour dire qu’ils avaient mis en péril le dialogue entre les évêques et l’Etat. Enfin, après la victoire, pour regretter que d’autres “tendances” n’aient pas été parmi les plaignants. Je crois qu’il faut “raison garder”. J’aurais, moi aussi, bien aimé qu’un ou plusieurs évêques soient avec nous parmi les plaignants, mais les prises de position très fermes de nombreux évêques ont contribué à “mettre la pression” sur le gouvernement et, d’une certaine façon, aidé à la victoire finale. Je crois aussi que cette victoire est, comme l’a très joliment dit Bernard Antony, un “bien commun” et qu’elle n’appartient ni à une association donnée, ni à une “sensibilité”: notre droit naturel à la liberté l’a emporté, cela profite à tous.
En revanche, force est de constater que, si de nombreux évêques ont parlé clairement – je pense bien sûr, tout particulièrement, aux évêques qui ont l’habitude de soutenir publiquement les fidèles engagés dans la défense de la famille naturelle, du mariage et de la vie innocente, comme Mgr Rey, Mgr Aillet, Mgr Ginoux et quelques autres, mais aussi à Mgr Rougé, tout nouvel évêque de Nanterre et ancien aumônier des parlementaires, dont la voix a porté bien au-delà de son diocèse –, la conférence des évêques de France (CEF) a été fort en retrait dans cette bataille. Elle avait certes publié un communiqué très net avant la publication du décret de déconfinement, mais, dès que le Premier ministre a signalé qu’il n’entendait pas céder, elle publia un communiqué appelant à obéir au gouvernement – ce qui est évidemment un devoir pour tous, notamment les chrétiens, mais à la condition que le gouvernement ne viole pas une loi supérieure comme la loi naturelle! Ce dernier communiqué fut assez mal reçu par bon nombre de fidèles. Mais, après tout, la conférence des évêques de France n’est pas un organe de gouvernement de l’Eglise, ce sont les évêques qui gouvernent dans leurs diocèses et l’effacement de la CEF pourrait ainsi être une excellente chose. En tout cas, il y aurait de l’injustice à ne juger de l’action des évêques que par les communiqués de la CEF et, personnellement, il me semble assez sain que les laïcs soient en première ligne dans les combats politiques et judiciaires – l’action temporelle étant leur mission propre. La CEF avait lancé en 1996 une association Croyances et Libertés pour défendre la liberté religieuse des catholiques. Mais, à ma connaissance, cette association, en presque un quart de siècle, n’a jamais mené d’action en justice. Elle avait été lancée, semble-t-il, uniquement pour faire pièce à l’AGRIF, trop à droite et trop traditionaliste au goût de certains. Mais, très naturellement, l’AGRIF, dirigée par des laïcs, était plus à l’aise sur le terrain des combats temporels et elle peut faire beaucoup plus, sans mandat épiscopal, que Croyances et Libertés, malgré toute l’autorité de son président (qui est statutairement le président de la CEF). Il me semble aussi absurde de laïciser les clercs que de cléricaliser les laïcs! On peut seulement regretter que des “cathos de gauche” ne lancent pas, de leur côté, une association du même type que l’AGRIF: la tâche est si immense que je puis les assurer qu’ils seraient les bienvenus!
Dernière chose – et non la moindre: ce combat a permis un rapprochement entre divers tendances de ce que l’on appelle désormais, à la suite du sociologue Yann Raison du Cléziou, les “catholiques observants”, c’est-à-dire les catholiques assidus à la pratiques sacramentelle et attachés à transmettre leur foi à leurs enfants: indépendamment de leurs attaches liturgiques (et Dieu sait si la querelle liturgique a été dure en France au cours des dernières décennies!), ces “catholiques observants” (notamment traditionalistes et charismatiques) ont été en première ligne dans la bataille pour la liberté de culte – soutenus par leurs prêtres et par de nombreux évêques souvent issus de leurs rangs. A long terme, ce rapprochement est décisif, non pas seulement pour l’Eglise, mais aussi pour la France car ces “catholiques observants” ont également été en première ligne dans le combat pour défendre le mariage naturel, voici quelques années, et ils forment le gros des bataillons du “conservatisme social” comme on dit aux Etats-Unis. Tout ce qui contribue à les rapprocher contribue aussi à les renforcer et donc à renforcer leur poids dans la vie publique. Cette bataille pour la liberté de culte aura donc certainement des conséquences bien au-delà des prochaines semaines.