La politique démographique de la Chine reste une monstruosité.
La prémisse est le menuet des chiffres. Tout d’abord, une équipe d’experts de la La Banque Populaire de Chine a publié une étude, datée du 26 mars et rendue publique le 14 avril, affirmant que le géant asiatique passerait sous la barre des 1,4 milliard d’habitants – symbole de l’augmentation de la population- pour la première fois depuis la folie socio-économique maoïste du “Grand Bond en avant” (大躍進). Juste après ça, le 11 mai, Le Bureau national des statistiques de la Chine (国家统计局) a publié les données du recensement effectué en décembre 2020 (plus tard que ce qui avait été annoncé précédemment) et a déclaré que la population ne descendrait pas en dessous du chiffre de 1,4 milliard : elle ne ferait que croître plus lentement et donc le… Le record à la baisse ne serait pas du tout dans le nombre absolu de citoyens chinois, mais dans le taux de croissance, le plus bas depuis 1955.
Un curieux thriller, auquel nous assistons, entre les données et les dates. Il est également clair que la Banque populaire de Chine et le Bureau national des statistiques sont tous deux des branches de l’État, et pas n’importe quel État, mais la Chine, l’un des pays les plus centralisés, contrôlés et “surveillé” de la planète, et que cela est peut-être dû en grande partie à l’effet psychologique que les chiffres ronds créent dans un contexte où les chiffres sont le pouvoir et où le pouvoir sur la scène internationale est tout.
Mais il ne s’agirait que d’un jeu de chiffres si ce thriller n’avait pas ouvert la voie à un événement qui était dans l’air depuis un certain temps : depuis le 31 mai en effet, le gouvernement chinois autorise les couples à mettre au monde un troisième enfant.
De 1979 à 2015, en effet, la Chine a pratiqué une politique très stricte de l’enfant unique, inspirée des critères néo-malthusiens les plus grossiers. L’idée fanatique de Mao Zedong (1893-1976) de vouloir pousser rapidement le pays, alors essentiellement agricole, au-delà de la production industrielle occidentale avait créé une véritable tragédie. Selon les chiffres officiels, la population chinoise a perdu 13,4 millions de personnes, mais l’historien néerlandais Frank Dikötter, dans La grande famine de Mao : l’histoire de la catastrophe la plus dévastatrice de Chine, 1958-62 (Walker, New York 2010), parle d’au moins 45 millions de morts (documentant même des épisodes de cannibalisme pratiqués par une population littéralement à bout de souffle) et le journaliste chinois Yang Jisheng, dans Tombstone : L’histoire inédite de la grande famine de Mao (Allen Lane, Londres 2012) indique qu’entre 1958 et 1962, 36 millions de personnes sont mortes de faim et 40 millions ne sont pas nées.
Mais même cela n’était pas suffisant. Le désastre est tel qu’à la fin de la parabole maoïste, en 1976, le pays présente encore un “déficit humain” tel qu’il pousse le régime à imposer le contrôle des naissances. Inséré dans l’article 25 des Principes généraux de la quatrième Constitution de la République populaire de Chine (中华人民共和国宪法), adoptée en 1982, La “politique de l’enfant unique” prévoyait l’avortement forcé des enfants autres que le premier né, la stérilisation forcée des femmes, l’abandon à la mort des enfants “en surnombre” ou leur enlèvement pour les vendre à des étrangers comme “orphelins”. Un documentaire, La nation d’un seul enfant le documente en termes très clairs. Et une vidéo de propagande, diffusée à la télévision chinoise en 1998, affirmait allègrement que 338 millions d’enfants avaient été empêchés de naître de cette manière.
Eh bien, le cauchemar a connu un premier revers en 2015, lorsque le gouvernement a autorisé les couples à pouvoir avoir un deuxième enfant. Or les conditions démographiques du pays sont telles, thriller ou pas thriller, qu’un nouveau virage doit être décrété.
Mais l’angoisse ne diminue pas. Alors que les données complètes du recensement de décembre 2020 restent toujours absentes du site de l’Office des statistiques nationales (depuis des semaines, il n’y a que des communiqués de presse ” anticipant ” les données), et que le décret libéralisant le troisième enfant n’est toujours pas disponible (seules des annonces dans la presse du régime sont disponibles, de l’agence de presse… Xinhua aux journaux de langue anglaise Quotidien du peuple et Global Times), l’important est de ne pas lire ce qui n’est écrit nulle part et de lire ici ce qui n’est malheureusement pas écrit ailleurs.
C’est-à-dire que la Chine n’a pas mis fin au contrôle violent des naissances. Il a changé de stratégie, poursuivant le chemin qu’il a emprunté en 2015.
Vous pourrez effectivement avoir un troisième enfant, mais il vous sera toujours interdit d’avoir autant d’enfants que vous le souhaitez et que la nature vous envoie. Qu’en est-il des enfants après le troisième ? Vous n’avez pas tort si vous dites qu’ils finiront comme les millions d’enfants tués après le premier enfant des couples chinois de 1979 à 2015 et après le deuxième enfant de 2015 à aujourd’hui.
Évidemment : moins de bébés meurent de l’avortement forcé depuis 2015 et le 31 mai de cette année, mais ils meurent toujours. Et surtout, l’État continue de décider ce qu’il faut faire de la vie des gens, à commencer par leurs droits humains essentiels.
Non, la misérable politique démographique chinoise, qui fait couler le sang, n’est pas terminée. Elle est utilisée, comme tout le reste, comme une arme en accordéon, selon les besoins de l’État, par la même clique de pouvoir qui a déjà sur la conscience des millions d’enfants avortés et de femmes stérilisées.
Nicole King l’a bien dit, sur l’édition anglophone de “iFamNews”: rien ne peut effacer le massacre des enfants chinois, qui se poursuit. Et même la récente politique du régime visant à décourager les divorces s’inscrit dans la même stratégie d’un État maître qui utilise les gens comme des pions sur un échiquier, se sacrifiant quand il le faut, s’aplatissant si nécessaire. Comme les Morlocks dans La Machine à Explorer le Temps.