Des zombies donateurs de sperme?

Des médecins britanniques proposent de récolter le sperme de donneurs morts pour faire face à la pénurie de gamètes.

[Cet article est paru initialement sur SALVO (www.salvomag.com) le 31 janvier 2020; nous remercions nos confrères de nous avoir autorisé à le reproduire. – nde.]

Une histoire survenue Royaume-Uni cette semaine devrait surprendre quiconque se soucie d’éthique biomédicale.

Voici ce que titre le Telegraph: “Du sperme pourrait être prélevé sur des hommes morts pour soulager la crise des dons, suggèrent des médecins britanniques 1.” Il s’agit de la recension d’un nouvel article de recherche récemment publié par les Drs. Nathan Hodson et Joshua Parker dans le Journal of Medical Ethics. “Beaucoup de gens espèrent qu’après leur mort, leur corps sera utilisé au profit des autres”, écrivent les médecins. “Il est à la fois possible et moralement permis aux hommes de faire don de leur sperme à des étrangers après leur mort, afin de garantir des quantités suffisantes de sperme avec les qualités souhaitées.”

Leur proposition présente quelques “avantages”, affirment les médecins. Premièrement, cela aiderait à remédier à la pénurie de donneurs de sperme consentants au Royaume-Uni. Actuellement, le Royaume-Uni importe environ 7 000 échantillons de sperme des États-Unis et du Danemark combinés pour atténuer sa propre pénurie. Deuxièmement, la récolte de sperme sur des hommes morts peut aider à répondre aux inquiétudes concernant les défauts génétiques et pourrait également contribuer à la “diversité de l’offre” – la plupart des donneurs actuels sont blancs.

Tous ne sont pas favorables à l’idée. La commentant pour The Telegraph, le professeur Allan Pacey de l’Université de Sheffield dit que de tels dons “ressemblent à un pas en arrière alors que la société était allée très loin vers l’union des donneurs de sperme avec leurs enfants”. Et Sarah Norcross, directrice du Progress Educational Trust, a déclaré: “Il est essentiel de solliciter aussi l’avis des personnes conçues par les donneurs sur ce qu’ils pensent de l’impact de ne jamais pouvoir rencontrer le donneur.”

Cette histoire n’est qu’un exemple de plus de la façon dont l’industrie de la fertilité est centrée sur les adultes. Une seule fois, à la toute fin de la pièce, une voix unique demande: “Mais est-ce bon pour les enfants?”

Et, bien que l’idée de récolter le sperme des hommes morts semble plutôt du style Meilleur des mondes, nous voyons déjà quelques scénarios de ce type en ce moment. Un couple de lesbiennes a récemment fait la une des journaux pour avoir été le premier à accueillir un «bébé à deux utérus», dans lequel un œuf d’une femme a été inséminé artificiellement, replanté dans l’utérus de cette femme pour le début de la gestation, puis transféré à l’autre partenaire 2. (À tout moment du processus des «deux utérus», le bébé aurait pu facilement mourir – mais, plutôt que d’en discuter, l’histoire a salué la nouvelle procédure comme une grande avancée pour les couples lesbiens qui veulent tous les deux un «lien biologique» avec l’enfant.)

Il y a également eu le cas d’une clinique de fertilité qui a signalé la perte de 4 000 embryons et ovules lorsque l’un de ses congélateurs est tombé en panne 3. Le plus horrible de tout est peut-être les centaines de milliers d’embryons congelés abandonnés pour les seuls États-Unis – ce sont des bébés dont les parents ont cessé de payer les frais de stockage et n’ont pas répondu aux appels ou aux lettres 4. Et combien d’embryons congelés que les parents n’ont pas encore abandonnés? Personne ne sait avec certitude, car le gouvernement américain ne réclame pas de chiffres aux cliniques de fertilité.

Ce sont des situations horribles, avec un thème commun: les adultes ont cessé de se soucier du bien des enfants. Les adultes qui se soucient des enfants signaleraient plutôt certaines des difficultés connues auxquelles sont confrontés les enfants reproduits artificiellement, comme un taux plus élevé de développer un cancer 5, une probabilité deux fois et demie plus élevée de faible poids à la naissance et deux fois plus de risques d’anomalies à la naissance 6.

Et c’est là seulement l’aspect physique. À ce jour, il n’y a pratiquement eu aucune étude sur les enfants nés par fécondation artificielle, sur ce qu’ils pensent de leur propre conception, ou s’ils ont un taux accru de problèmes émotionnels ou comportementaux. La technologie est encore trop récente.

Le groupe d’étude le plus proche que nous ayons pour établir une comparaison – les enfants adoptés – nous donnerait des raisons de croire que les enfants séparés d’un parent biologique vont avoir certaines des mêmes difficultés émotionnelles. Katy Faust, fondatrice et présidente du groupe de défense des droits de l’enfant Them Before Us, soutient que la grande différence est que, dans l’adoption traditionnelle, les parents adoptifs réagissent à une blessure déjà existante – l’un des ou les deux parents ne peuvent pas ou ne veulent pas garder l’enfant 7. Pour les enfants issus de la fécondation artificielle, au contraire, les parents eux-mêmes créent la blessure – le couple lesbien qui ne voit pas l’intérêt d’un père, ou le couple marié qui ne veut que l’un des trois embryons qu’ils ont créés, ou la femme célibataire qui crée un bébé avec un donneur de sperme parce qu’elle ne trouve pas de partenaire convenable.

L’infertilité est-elle tragique? Oui. Serait-il merveilleux que chaque couple femme-homme aimant, désireux d’accueillir la vie et marié, puisse accueillir un bébé? Bien sûr. Pourtant, aussi tragique cela soit-il, personne ne garantit aux adultes le droit à un bébé. Nous ne pouvons plus nous permettre de bafouer les enfants dans notre désespoir – ou pour notre propre confort. Arrêtons-nous une minute pour nous demander ce qui est possible et commençons par nous demander ce qui est moral. Arrêtons de créer des bébés par centaines de milliers, quand nous n’avons aucune idée de ce qui arrive à ces bébés.

Et n’aggravons certainement pas la crise en récoltant le sperme de papas morts!


Notes:
1.Sarah Knapton, “Sperm could be harvested from dead men to ease donation crisis,” The Telegraph, January 20, 2020.
2. Lia Eustachewich, “Lesbian couples welcomes ‘two-womb baby,” New York Post, December 4, 2019.
3. Laurel Wamsley, “Ohio Fertility Clinic Says 4,000 Eggs And Embryos Destroyed When Freezer Failed,” NPR, March 28, 2018.
4. Mary Pflum, “Nation’s fertility clinics struggle with a growing number of abandoned embryos,” NBC, August 12, 2019.
5. Angela Oketch, “Cancer risk found in babies born through IVF,” Daily Nation, January 21, 2020.
6. “Expert warns of IVF time bomb,” Daily Mail.
7. Katy Faust, “Why Embryo Adoption Damages Children’s Rights,” The Federalist, December 4, 2019.

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