Un nouveau genre de féminisme

Des générations de femmes américaines ont appris que, pour avancer dans la vie, il leur fallait suivre le scénario de la vie d'un homme. Dans ce contexte, Amy Coney Barrett est une bouffée d'air frais bienvenue.

[Cet article est d’abord paru sur SALVO (www.salvomag.com) le 30 septembre 2020; nous le reproduisons avec l’aimable permission de l’éditeur. – Ed.]

Quand on réfléchit au climat politique américain actuel – et “réfléchir” n’est d’ailleurs même pas vraiment nécessaire, parce que ce climat est en train d’étouffer la société américaine en ce moment -, il est facile d’être désillusionné, déprimé, peut-être même plus prêt que jamais à déménager, disons, au Costa Rica.

Dans un tel climat, Amy Coney Barrett est une bouffée d’air frais bienvenue. Elle a plus de classe, de brillance, de présence et d’assurance que l’un ou l’autre de nos candidats actuels à la présidence, comme cela a été douloureusement évident lors du débat de mardi. Mais elle est autre chose aussi. Comme le dit un article de POLITICO, elle est “une nouvelle icône féministe”.

Si cela semble contre-intuitif, c’est parce que des générations de femmes américaines ont entendu que, pour avancer dans la vie, il leur fallait suivre le scénario de la vie d’un homme. En d’autres termes, sacrifiez les choses mêmes qui vous rendent “féminine” – en particulier, la capacité féminine biologiquement unique de concevoir, porter et allaiter des enfants. Mais si le féminisme de la première vague visait à donner aux femmes le droit de vote et que le féminisme de la deuxième vague visait à leur assurer l’égalité culturelle et professionnelle, le féminisme de la troisième vague consiste à changer la culture elle-même et la place de la famille sur le lieu de travail.

Comme le note l’histoire de POLITICO, la sénatrice Barbara Feinstein a déclaré à Barrett lors de l’audience de confirmation du Sénat de cette dernière en 2017: “Vous êtes controversée parce que beaucoup d’entre nous qui ont vécu en tant que femmes reconnaissent vraiment la valeur de pouvoir enfin contrôler nos systèmes reproducteurs, et Roe fait partie de cela, évidemment.” C’est le scénario féministe de la deuxième vague. Les femmes ne peuvent “vivre en tant que femmes” qu’en acquérant un “contrôle” sur la reproduction. Mais pour Feinstein, “contrôle” signifie contraception et avortement. C’est aussi le sentiment exprimé par Michelle Williams dans son discours d’acceptation des Golden Globe plus tôt cette année. “Des choses arrivent” au corps des femmes et des filles qu’elles n’ont pas choisies. Williams a conclu: “Je n’aurais pas pu faire cela sans utiliser le droit des femmes de choisir.” Dans ce point de vue – le point de vue de Williams, Feinstein, et Ginsburg, et d’innombrables autres -, le corps même des femmes, leur reproduction et la chronologie de leur reproduction sont contraires aux rêves de leur vie.

Pour Barrett, en revanche, le “contrôle” de la carrière et de la maternité semble signifier quelque chose de bien différent. En 2019, on a demandé à Barrett comment elle avait réussi à accomplir tant de choses, tout en étant également mère de sept enfants. Sa réponse fut qu’elle et son mari, Jesse (également avocat), se sont relayés pour “le gros du travail” de la parentalité. En ce moment, dit-elle, il en fait certainement plus, mais il y a eu des moments où elle assumait la plus lourde part. “Nous sommes allés par cycles, a déclaré Barrett. Nous avons évalué à chaque étape si les choses fonctionnaient bien pour la famille, pour le travail dans lequel j’étais. . . mais cela fonctionnait toujours et cela fonctionnait bien: les enfants étaient très heureux, j’adorais enseigner.” Elle a continué en disant que, pour elle et pour son mari, les enfants venaient en premier, leur carrière en second. Mais ils n’ont pas eu besoin de sacrifier cette dernière non plus – et une tante de son mari a énormément aidé à la garde des enfants.

Ce que le mariage de Barrett illustre, c’est l’idée de complémentarité sexuelle dans la prise en charge des enfants. L’auteur Wendell Berry a écrit dans The Unsettling of America que ce n’est qu’avec l’avènement de la révolution industrielle que nous avons vu, pour la première fois, la division sexuelle du travail – dans laquelle la garde est devenue une responsabilité principalement féminine. Auparavant, les deux sexes participaient à parts égales au maintien de l’activité familiale (agriculture, artisanat, etc.), tout en s’occupant des enfants et du ménage. Barrett et son mari comprennent ça. Ils ont donné la priorité à leur famille et ont constaté que, lorsqu’ils coopéraient, que les soins étaient la responsabilité conjointe des deux époux et que, quand ils communiquaient, eux et leurs enfants prospéraient. Comme l’a dit POLITICO, “Quand un plus grand nombre d’entre nous comprendra la priorité culturelle de la prestation de soins, un mouvement deviendra suffisamment fort pour contester la mentalité dominante du marché qui désavoue les obligations familiales pour les femmes et les hommes.” Les hommes ne veulent pas non plus passer tout leur temps loin de leur famille. Nos lieux de travail doivent refléter ces désirs humains profonds et universels.

Pour le moment, cependant, nous pouvons comprendre qu’une mère de sept enfants, un esprit brillant et une personne apparemment aimable, accomplie et appréciée, est candidate à la plus haute cour du pays. (Et il est remarquable que, sur les quatre femmes qui ont siégé à la Cour suprême jusqu’à présent, une seule – Ruth Bader Ginsburg – était une mère.) Puisse son exemple conduire d’autres femmes à se rendre compte qu’elles n’ont pas besoin de sacrifier leur corps ou celui de leurs enfants sur l’autel de leur carrière.

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