Nous avorter nous-mêmes

[Cet article est paru originellement dans  SALVO (www.salvomag.com) et il est reproduit avec l’aimable permission de ce dernier. NDE]

Lors de la cérémonie des Golden Globes, cette année, Michelle Williams a fait la une des journaux pour avoir laissé entendre que son avortement avait rendu sa carrière possible.

Williams avait d’abord présenté une présentation assez jolie et glamour de sa propre vie. Le globe d’or qu’elle a reçu cette nuit-là était, a-t-elle dit, d’une certaine façon la validation des choix qu’elle avait faits, à la fois comme actrice et comme personne. Parce, parfois, a-t-elle continué, “des choses qu’elles n’ont pas choisies arrivent” aux corps des femmes et des filles. Elle a conclu, pratiquement en larmes: “Je n’aurais pas pu faire cela sans utiliser le droit des femmes à choisir.” Choisir, a-t-elle continué, quand avoir leurs enfants et avec qui.

L’audience acclamait, en extase. La camera tomba plusieurs fois sur une Busy Philipps, pratiquement sanglotante, elle qui avait parlé de son propre avortement à l’âge de 15 ans. Williams clôtura son discours en priant instamment les femmes de voter en fonction de leur propre intérêt, car “c’est ce que les hommes font depuis des années”.

D’autres femmes protestèrent contre l’approche unilatérale de la féminité que présentait Williams. Dès le lendemain, Leah Darrow, ancienne top model américaine et catholique pratiquante, publia un message tout aussi émouvant sur Instagram. De son lit d’hôpital, Darrow expliqua qu’elle s’apprêtait à donner naissance à son cinquième bébé et qu’elle n’avait certainement pas prévu de faire une vidéo durant le travail d’enfantement. Mais elle se sentait appelée à répondre à ce que notre culture avait à dire sur “la naissance, les femmes, les bébés et le choix”. “Les bébés ne nous privent pas de nos rêves, continua-t-elle. Je suis prête à mettre au monde un enfant qui, non seulement n’empêchera pas ma croissance professionnelle mais me rendra meilleure. Et je suis si honorée et si excitée que j’attends cet enfant avec impatience.”

Le message de Darrow semble irréaliste: comment les bébés peuvent-ils favoriser la croissance professionnelle d’une femme, alors que toutes les statistiques semblent indiquer que les femmes se retirent du monde du travail après l’accouchement, gagnent moins d’argent et renoncent à des opportunités?

Cela peut sembler fou, mais ce que Darrow a dit avec son cœur, son intuition et son expérience est quelque chose que les études ont réellement démontré. Alissa Quart, en résumant le travail de son livre Squeezed: Why Our Families Can’t Afford America, a constaté dans ses enquêtes et son expérience que les mères ont déclaré que leurs compétences professionnelles s’étaient effectivement améliorées après la naissance d’un enfant. Ses amis “ont rapporté que des compétences fondamentales en milieu de travail telles que l’écoute, le raisonnement, le leadership et la gestion des horaires avaient amélioré leur travail plutôt que de lui nuire”. Elle a donc décidé d’étudier scientifiquement cette impossibilité apparente, et a découvert, entre autres, dans une enquête auprès de 10 000 femmes universitaires, que les mères étaient plus productives au travail que les femmes sans enfants.

D’autres recherches ont montré que “la maternité améliore certains types de connaissances, améliore la résistance au stress et aiguise certains types de mémoire”. “Le résultat” de la grossesse et de la maternité, écrivent Craig Kinsley et Elizabeth Amory Meyer “, est un cerveau différent et à certains égards meilleur – ou au moins un capable de jongler avec les défis de la vie quotidienne tout en maintenant une concentration aussi précise qu’un laser sur le bébé.”

Dans ses propres recherches, Amy Henderson de TendLab (qui signe ses articles avec cette phrase: “Les leaders modernes ont besoin des compétences que la parentalité débloque.”) met en évidence dans le magazine Mother cinq compétences de base que la maternité augmente considérablement: l’intelligence émotionnelle, le courage, la résilience, la productivité et l’efficacité, et enfin l’ambition et la motivation. Henderson a également souligné que dans ses conversations, “la majorité des mamans avec qui j’ai parlé se sont rendues compte, pendant qu’elles me parlaient, qu’elles réussissaient mieux dans leur carrière grâce à leurs enfants, pas malgré eux”.

La maternité pose-t-elle certains défis à la carrière d’une femme? Bien sûr que oui. Mais le récit avancé par Michelle Williams et notre culture de mort est que le seul moyen de réussir pour les femmes est de tuer les bébés qui se mettent sur leur chemin. Remarquez à quel point les femmes sont passives et victimisées dans ce récit. “Des choses que nous n’avons pas choisies arrivent aux corps des femmes et des filles.” Williams dit qu’elle n’aurait pas pu réaliser sa carrière sans avoir choisi de tuer son enfant. Je ne prétends certainement pas comprendre tout l’arc de la carrière de Williams, mais laisser entendre qu’elle n’aurait pas pu surmonter la naissance d’un enfant à d’autres rôles, à d’autres moments, semble certainement minimiser ses propres capacités artistiques.

Entre-temps, de plus en plus de recherches suggèrent que les femmes qui choisissent de rester dans une certaine mesure au sein de la population active après la naissance des enfants voient réellement des améliorations marquées dans leur propre travail, que ces améliorations soient notées par d’autres ou non. Ce que les bébés font au cerveau d’une femme, sa motivation, sa capacité à effectuer plusieurs tâches, à faire preuve d’empathie, à prioriser, à gérer, à être efficace, etc., est vraiment tout à fait remarquable.

Alors arrêtons de le minimiser. Arrêtons de céder à une culture qui insiste sur le fait que les femmes ne peuvent bien fonctionner au travail que si elles fonctionnent exactement comme les hommes. Cessons d’accepter le récit de la victime selon lequel des choses «arrivent» au corps des femmes sur lesquelles elles sont impuissantes, et selon lequel la seule façon de réparer les choses est de laisser d’autres choses dans leur corps détruire le corps de leur bébé.

Et acceptons les dons remarquables que la maternité apporte à nos cerveaux et capacités.


Notes:
• Ryma Chikhoune, “Busy Philipps Opens Up About Her Abortion: ‘I Don’t Have a Shame,'” Vanity Fair, May 20, 2019, available at https://vanityfair.com/style/2019/05/busy-philipps-opens-up-about-her-abortion
• Paul Bois, “WATCH: Former ‘America’s Next Top Model’ Contestant Rebukes Michelle Williams: ‘Babies Do Not Keep Us From Our Dreams,'” Daily Wire, Jan. 8, 2020, available at https://dailywire.com/news/watch-former-americas-next-top-model-contestant-rebukes-michelle-williams-babies-do-not-keep-us-from-our-dreams.
• Alissa Quart, “The Motherhood Advantage,” Slate, June 26, 2018, available at https://slate.com/human-interest/2018/06/the-motherhood-advantage-the-evidence-suggests-that-becoming-a-mother-makes-women-better-not-worse-at-work.html.
• By Craig Howard Kinsley and Elizabeth Amory Meyer, “Maternal Mentality,” Scientific American, October 1, 2012, available at https://scientificamerican.com/article/maternal-mentality-2012-10-23/.
• Amy Henderson, “5 Reasons Why Motherhood Makes Us Better Workers,” Mother, September 12, 2017, available at https://mothermag.com/benefits-of-working-moms/.

Quitter la version mobile