In Memoriam: Roger Scruton, 1944-2020

Sir Roger Scruton, influent philosophe conservateur, est mort récemment.

[Voici un mois, mourait Sir Roger Scruton, célèbre philosophe britannique. Cet hommage est originellement paru dans Front Porch Republic, qui nous a autorisé à le reproduire. – Ed.]

Sir Roger Scruton, généralement qualifié à juste titre de principal penseur conservateur britannique, est décédé d’un cancer le dimanche 12 janvier. Il avait 75 ans.

Son CV est impressionnant. Après une maîtrise de philosophie et un doctorat d’esthétique à l’Université de Cambridge, il écrivit plus de 50 livres et en édita une douzaine d’autres. Les sujets couvraient toute l’expérience humaine, de l’art, de la musique et de l’architecture aux philosophes tels que Kant et Spinoza, de la politique d’immigration et des affaires étrangères, aux droits des animaux et à l’environnementalisme, de la religion en général et de l’anglicanisme en particulier au sexe (Sexual Desire: A Moral Philosophy of the Erotic). Il a également écrit une demi-douzaine de romans et deux opéras, fondé un magazine en 1982 (The Salisbury Review) qui, à ce jour, présente toujours [comme on peut le lire sur sa manchette] “absolument la mauvaise opinion sur tout”, a lancé sa propre maison d’édition (The Claridge Press), et a joué un rôle intellectuel et militant important en sapant le régime communiste en Tchécoslovaquie, ce qui aboutit à sa détention, à son expulsion et à son inscription sur la liste des personnes indésirables. Il a été fait chevalier par la reine Elizabeth II en 2016 «pour ses services rendus à la philosophie, à l’enseignement et à l’éducation publique».

Pour les passionnés de Front Porch Republic, une évidence s’impose: il était un “Porcher”. Sur le plan philosophique, son travail comprenait des traités sur la chasse, la «colonisation» (News from Somewhere), la consommation d’alcool (I Drink That’s I Am: A Philosopher’s Guide to Wine), le tabagisme et l’entretien de la terre (How to Think Serious About the Planet). Au plan pratique, il a acheté en 1993 Sundey Hill Farm, à Brinkworth, Wiltshire. Agrarien déterminé, il acquit rapidement les animaux classiques,… mais aussi des chevaux pour chasser le renard. C’est lors d’une chasse à Beaufort qu’il rencontra Sophie Jeffreys, historienne de l’architecture. Assise élégamment sur sa monture, et habillée aux couleurs de la chasse, elle l’envoûta. Ils se marièrent en 1996 et s’installèrent à Sundey Hill Farm. Les enfants ont suivi: Sam en 1998 (du nom du cheval préféré de Roger) et Lucy en 2000.

J’ai eu le privilège de compter Roger parmi mes amis. Nous nous sommes rencontrés pour la première fois vers 1990 et avons continué à nous croiser dans divers lieux conservateurs. Lorsque ma fille aînée a passé un an à étudier à St. Andrews, les Scruton l’ont invitée à passer les vacances de Noël avec eux. Elle a en fait assisté à l’un des actes les plus campagnards de Roger: il a fait son propre fromage de tête! C’était une époque où les normes de l’Union européenne s’imposaient aux bouchers britanniques, au grand dégoût des Scruton. Roger et ma fille se sont donc rendus dans un magasin du village devenu illicite et y ont acquis une tête de veau, à partir de laquelle il a fait un énorme bloc de viande en gelée. Les morceaux de chair étaient beaucoup plus gros que d’habitude et la préparation un peu plus huileuse que prévu, mais Roger en était fier. Étant de bons petits campagnards, Sam et Lucy ont bien mangé le chef-d’œuvre de leur père en matière de production familiale illégale.

Ma fille a également découvert Roger Scruton comme père. Il a accédé à ce rôle vers la cinquantaine, avec peut-être un mélange supérieur à la moyenne de joie et de mystification à l’égard de ces petits êtres dont il avait la garde. Un soir, une tempête a coupé le courant à Sundey Hill Farm. Sam, alors âgé de six ans, a demandé à son père d’où venait l’électricité. Roger s’est lancé dans une description enfantine des dynamos, des champs magnétiques, des flux d’électrons et du réseau électrique. Les enfants, rapporte ma fille, sont restés renfrognés et confus jusqu’à ce qu’un sourire traverse le visage de la petite Lucy. «Non», a-t-elle dit au groupe assis autour d’une bougie, «ça vient des fées!» Après une pause, le père a hoché la tête: «Bien sûr que oui.»

Roger Scruton laisse derrière lui d’importants messages d’encouragement aux paysans contemporains. Dans son volume Town and Country, il se plaint amèrement des efforts faits pour sauver le «patrimoine rural» de la Grande-Bretagne à travers les maisons-musées du National Trust [pensez à Downton Abbey]. Ces endroits, dit-il, sont en fait privés de vie; ils se contentent de «décaper ce qui est mort». Il appelle plutôt à la restauration d’un sens vital de l’histoire locale, où les habitants actuels pourraient vivre «une relation dynamique à travers les générations». Plutôt que de préserver une façade de vie rurale, Roger Scruton veut « encourager les gens à habiter la terre et à y habiter avec fruit. »

Dans ce qui sera l’un de ses derniers essais, Roger Scruton offre un message similaire aux Américains. Offrant une préface à Land and Liberty: The Best of FREE AMERICA [édité par votre serviteur et publié par le Wethersfield Institute], Roger adhère à la vision des agrariens et des distributistes américains qui ont produit ce journal de 1937 à 1946. Comme il le dit : «La vraie richesse d’un pays… ne réside pas dans les échanges mouvementés en bourse ou dans les fleuves de marchandises qui traversent chaque ménage sans y appartenir. Elle réside dans les communautés locales, dans le travail qui les unit, et dans l’investissement profond représenté par une maison, un lieu et la dotation à travers des générations d’amour humain. »

Sir Roger Scruton, que Dieu ait votre âme!

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