Benoît et Biden : savoir quand il y a un “mais” à venir

Le journal britannique The Tablet s'est trompé dans son titre, donnant beaucoup plus d'importance aux propos de Benoît XVI qu'aux mérites réels de l'échange.

L’autre jour, The Tablet a rapporté le titre “Biden est Catholique et pratiquant, dit Benoît“, couvrant les remarques faites par l’ancien pape dans une interview.

Or, la façon dont le titre présente la remarque, il était inévitable qu’elle cause un peu de désordre. On peut imaginer que Benoît répond précisément à la question de savoir si Biden peut vraiment être qualifié de Catholique, ou bien qu’il émet officieusement un avis théologique contre une sorte de proposition contraire. Il semble tout au moins que cette observation sur Biden était en quelque sorte le point principal de Benoît, ou du moins un point principal. Inévitablement, alors, le titre allait sucsciter un débat.

J’ai vu une personne sur Twitter répondre à la critique d’un évêque américain concernant la politique pro-avortement de Biden, en tweetant le commentaire “Ecoute le Pape”. Un autre tweet que j’ai vu, citait le titre avec l’observation “Rome a parlé” ; tandis qu’un autre encore ajoutait que l’on pouvait “entendre la tête des conservateurs exploser”.

Pour être honnête, ce dernier commentaire a en quelque sorte touché un point sensible. J’avoue qu’un certain nombre de collègues pro-vie et de catholiques ont vu rouge à propos de tout cela, avec des réactions allant de lamentations sur le sentiment d’avoir été “trahi”, aux reproches de “fake news” – suggérant que la citation avait été trafiquée ou même entièrement inventée, ou même qu’un journaliste sans scrupules avait profité d’un nonagénaire défaillant, etc. Quant aux remarques précédentes sur Twitter, on pourrait répondre que si l’on “écoutait” Benoît, on pourrait commencer par ne pas l’appeler “le Pape”. C’est-à-dire que, même s’il l’avait vraiment dit, il s’agirait simplement d’une opinion informelle exprimée dans une interview,, d’un théologien privé – certes éminent – qui ne parle en aucun cas au nom de “Rome”. De plus, même si cela avait été dit par le Pape en fonction , nous savons par expérience qu’une simple interview ne mérite jamais la dénomination “Roma locuta est” (“Rome a parlé”).

Mais est-ce vraiment ce qu’il semble à première vue ?

Ce que Benoît a dit est assez clairement traduit de l’italien : “È vero, è cattolico e osservante” – “C’est vrai, il [Biden] est Catholique et pratiquant.” Cependant, le contexte importe – allez comprendre ! – et il vaut la peine de lire l’intégralité de l’échange de l’article original italien:

Su Biden, il secondo presidente cattolico dopo John Fitzgerald Kennedy, Ratzinger esprime qualche riserva sul piano religioso. “È vero, è cattolico e osservante. E personalmente è contro l’aborto”, osserva. “Ma come presidente, tende a presentarsi in continuità con la linea del Partito democratico… E sulla politica gender non abbiamo ancora capito bene quale sia la sua posizione”, sussurra, dando voce alla diffidenza e all’ostilità di buona parte dell’episcopato Usa verso Biden e il suo partito, considerati troppo liberal.

“Sur Biden, le deuxième président Catholique après John Fitzgerald Kennedy, Ratzinger exprime quelques réserves sur le plan religieux. Il est vrai qu’il est Catholique et pratiquant. Et il est personnellement contre l’avortement”, observe-t-il. Mais en tant que président, il a tendance à se présenter dans la continuité de la ligne du parti démocrate … Et sur la politique de genre, nous n’avons pas encore bien compris quelle est sa position”, chuchote-t-il, exprimant la méfiance et l’hostilité d’une grande partie de l’épiscopat américain envers Biden et son parti, jugé trop libéral”.

Permettez-nous de faire quelques observations :

Tout d’abord, il convient de respecter la contextualisation du journaliste présent dans la salle, à qui une remarque est faite, car cette personne sera en mesure d’observer d’autres indices que les simples mots : tels que le langage corporel, le ton, etc. Il n’est donc pas anodin que ce journaliste conduise à la citation de Benoît en faisant remarquer que ce dernier exprimait par ses propos des “réserves” sur Biden. En d’autres termes, ce n’est pas ce que le titre de The Tablet pourrait faire croire : ce n’était pas le but de Benoît de défendre la “bonne” foi religieuse de Biden face à ses critiques, ou quoi que ce soit de ce genre.

Deuxièmement, il convient également de noter que certaines structures de phrases ont des connotations idiomatiques, d’une langue à l’autre. J’ai fait quelques recherches ici ; et bien que j’ai peu de facilité en italien, il a été assez facile de découvrir que, contextuellement, “È vero” en italien s’inscrit très souvent de manière très similaire à l’équivalent anglais de la déclaration principale, “It is true”. C’est-à-dire qu’il s’agit d’une de ces expressions qui, lorsqu’on l’entend, fait que l’auditeur “sent un “mais” venir”. En effet, d’après mes recherches (certes superficielles) à l’aide de certains dictionnaires contextuels en ligne, la majorité des cas que j’ai pu trouver de phrases italiennes utilisant l’expression “è vero” (“c’est vrai”) avait un “ma” – “mais” – qui suivait. Ou alors, la phrase se retrouvait plus souvent dans des structures de phrases qui, même si elles utilisaient des mots différents, permettaient d’obtenir le même effet de nuance contrastante : par exemple, “alors que d’un côté il est vrai que”, etc.

Cela ne devrait pas être surprenant. C’est tout simplement intuitif. Je veux dire, réfléchissez : considérez la force et le contenu de la phrase “c’est vrai”, et réfléchissez à vos propres modèles d’utilisation et de discours. Quand utilisez-vous cette expression ? Est-ce souvent – ou jamais – de manière très déclarative ? Après tout, la plupart d’entre nous ne se promènent pas en parlant comme des personnages du Seigneur des Anneaux ou Dune ou autre récit où l’on s’adonne fréquemment aux discours grandiloquents : “C’est vrai que tu es un puissant guerrier !” Apaisez-vous ! Non ; il est plutôt beaucoup plus probable que, si jamais nous nous nous retrouvons à dire “C’est vrai”. il y a un “mais” qui arrive. Ainsi, on pourrait me poser une question sur le Dr Phil McGraw, et je me retrouverai à répondre par une phrase qui commence par “Il est vrai qu’il est psychologue et qu’il était auparavant praticien agréé… MAIS….”

Quoi qu’il en soit, nous savons d’après le contexte ici qu’il y a eu en fait un “mais” ( ma en italien) à la suite de la première observation de Benoît. Donc, même si la phrase utilisée n’avait pas un ton général (ce qui, je dirais, est le cas), dans le cas présent, ce ton est certainement présent.

Où cela nous mène-t-il alors ? Eh bien, à titre personnel, je pense que Benoît s’est simplement montré prêt à admettre ce que j’ai moi-même admis, à savoir qu’on peut dire que Joe Biden est un Catholique – il a été baptisé dans l’Église de Rome, après tout, et n’a jamais formellement répudié ce sacrement ; en fait, il se présente plutôt comme l’ayant embrassée de manière très ostentatoire. Quant à son attitude “pratiquante”, il assiste à la messe hebdomadaire le dimanche (ce qui est malheureusement plus que ce que font de nombreux catholiques). D’un point de vue théologique, on pourrait certes débattre de la question de savoir si Biden mérite l’accusation d’hérésie formelle ou s’il est excommunié d’une autre manière plus technique (selon le droit canonique) ; mais ce sont des distinctions discutables et techniques, et je ne crois pas dans le contexte ici que Benoît essayait d’être particulièrement technique. Ou alors, on pourrait concevoir que peut-être Benoît reconnaissait que Biden est “techniquement” un catholique… “mais” qu’il est clair que ses positions sur l’avortement et le genre ne sont pas à la hauteur de la foi Catholique. Enfin, et ce n’est pas un hasard, il existe en italien, tout comme en anglais, une foule d’adjectifs qui sont souvent utilisés lorsqu’on parle de pratique et d’identité religieuses. La langue italienne a en effet des mots pour “dévot”, “pieux”, “sincère”, “saint” et “orthodoxe” – je parierais même que les Italiens ont probablement un vocabulaire plus riche et plus varié que les Américains pour parler de ce sujet ! On peut donc au moins soutenir que si l’on faisait grand cas du mot choisi par Benoît pour décrire la religiosité de Biden, on pourrait en faire tout autant, sinon plus, en considérant tous les mots qu’il n’a pas choisis

En résumé, je dirais que The Tablet s’est trompé dans son titre, donnant beaucoup plus d’importance à ce que Benoît a dit, qu’aux mérites réels de l’échange. Et à leur tour, lorsqu’ils ont lu le titre, les lecteurs de tous bords – de gauche comme de droite – se sont trompés en en faisant plus que la citation réelle ne le mérite, ou même ne le permet.

Si je peux me permettre de formuler ma dernière observation d’une autre manière : Je dirais que, oui, il est vrai que Benoît a dit de Biden qu’il était “catholique et pratiquant”…

…MAIS….

Quitter la version mobile